Par la médiation culturelle, « un projet de société et d’inclusion »
On pourrait se perdre à énumérer les nombreuses lignes du CV de Julie Legrand. Alors, pour simplifier, elle préfère se présenter comme « slasheuse » de la médiation et de l'accessibilité culturelle. « Je suis à la fois médiatrice, enseignante, formatrice professionnelle et conceptrice d'outils de médiation », explique celle qui collabore en parallèle pour le Musée d'arts de Nantes Métropole, Le Voyage à Nantes ou encore le collectif d'historiennes de l’art qu’elle a cofondé en 2017, les Têtes Renversantes. Et avec ARTES, depuis 2019. Mais bref, on avait dit que l’on simplifierait notre propos…
En médiation, Julie ne dirait pas qu’elle va jusqu’à vulgariser les choses. « L’objectif est de rendre le propos artistique intelligible », reformule-t-elle. Malgré un emploi du temps chargé, elle est venue nous partager son expérience d’un métier aux multiples enjeux.
Pour quelqu’un de non averti, comment définirais-tu simplement la médiation culturelle ?
« C'est la création d'un lien entre les publics et les œuvres d'art. Comment on vient faire comprendre la parole de l'artiste ou une proposition artistique à différentes typologies de public, et adapter notre discours à ces derniers. »
Et c’est un vrai enjeu d’actualité…
« Dans les années 1960, Bourdieu a fait une étude pour savoir qui fréquentait les musées. Sa conclusion, c'est que ce sont ceux qui vont au musée, sont ceux qui savent déjà voir. La relation à l'objet culturel et artistique n’est pas de l'ordre de l’inné, c'est de l'acquis. Ce déterminisme social est encore d'actualité. Et l’enjeu de la médiation culturelle, c’est de rendre accessibles les œuvres à tous les publics.
D’où l’utilité du médiateur…
« À la base, la médiation, c’est un terme diplomatique : on va faire appel à des médiateurs dans des problèmes géopolitiques ; pour un conflit entre voisins. Puis on a considéré que dans la culture, il y avait une scission. Donc on a été chercher ce terme, qui n’a rien à voir avec la chose artistique, et nous sommes devenus des médiateurs et des médiatrices dans les années 2000.
Avant, il y a eu plein d’appellations différentes : guides, conférenciers… Ce que j’aime dans le terme « médiation », c’est qu’il vient changer notre pratique : on part du professionnel qui a la connaissance, va parler tout seul et donner énormément d’informations. La médiation, c’est plus horizontal. Je n’ai pas le savoir, et moi-même j’ai à apprendre des publics avec qui je travaille. On discute ensemble, on est dans l’échange autour des œuvres.
C’est un vrai projet global de société et d'inclusion
Comment t’est venue l’idée de faire de la formation ?
« Avant de travailler au Lieu Unique (2012-17), j’étais enseignante, et je me souvenais de sorties avec mes étudiants et étudiantes. J'arrivais avec un grand groupe sur des visites de lieux de salles de spectacles. Toutes les structures n’ont pas une personne dédiée. Pendant ces visites, je m’étais rendue compte que mes étudiants déconnectaient rapidement. Réaliser une visite pour un groupe constitué, c’est un métier. Et c'est ainsi que l'idée est venue d'accompagner les professionnel.les qui travaillent en direct avec les publics.
Les objectifs de cette formation, c'est d’expliquer comme faire ces visites. Savoir comment on se positionne par rapport au public, à ce que l’on montre. Comment on vient construire un discours ? Comment on prend la parole ? Comment on la distribue ? Quels sont les jargons qu'il faut éviter d'utiliser face à tel ou tel public ? Il faut savoir s’adapter, car on ne va pas dire les choses de la même manière si on a des scolaires, des adultes, ou des personnes en situation de handicap. »
Justement, tu animes un deuxième module sur la médiation spécifique au public en situation de handicap, qu’est-ce qui change face à eux ?
« On va à l'inverse de tout ce qu'on a appris à faire. On part du général, et on va vers le particulier. Je travaille plus spécifiquement avec les personnes ayant des troubles du développement intellectuel, des troubles de la santé mentale, et des personnes ayant des troubles de la mémoire. L’enjeu, d’un point de vue cognitif, c’est de créer des outils pour aider à leur compréhension.
C’est un sujet d’actualité car la loi dit que toutes les structures doivent être opérationnelles en 2025. Et de base, c’était prévu pour 2015. Il faut que l'offre d'une salle de spectacle soit adaptée avec des audiodescriptions, des interprètes en LSF (langue des signes française), des spectacles naturellement accessibles… C'est un enjeu majeur pour les personnes situation de handicap d’avoir accès à la culture. Comme quiconque, ils ont des droits culturels. Donc il faut leur apporter les outils dédiés. »
Tout ceci a un coût…
« Et c'est le frein principal pour les structures. Mais du moment où on commence à travailler pour les publics en situation de handicap, on se rend compte que ce sera vertueux pour tout le monde. Ce que l'on met en place pour une personne ayant des troubles du développement intellectuel, par exemple, va servir à une personne âgée ayant des troubles de la mémoire. Comment, par le prisme du handicap, on va créer une médiation avec des outils dédiés qui va servir à toutes les typologies de public ? Bien que le coût soit un frein, il faut entendre que les bénéfices d'une médiation inclusive profitent à tous les publics. C’est un vrai projet global de société et d'inclusion. »