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Témoignages

« Encourageons les artistes à assumer leur rôle de manager »

Ancien percussionniste professionnel avant de fonder Pypo Production – une structure d’accompagnement d’artistes - en 2012, Simon Hadjer qualifie son parcours de « chemin d’être humain incertain ». Sur sa route, le Nantais a passé la porte d’ARTES à plusieurs reprises. Sa dernière venue, en 2018 sur le cycle « Réussir dans sa fonction managériale » a consolidé sa vision du management : égalitaire, bienveillante et basée sur une relation réciproque entre collaborateurs.

Interview par Elliott Bureau
le 25 mars 2025
(lu 291 fois)

Tu étais musicien avant de créer Pypo Production en 2012, qu’est-ce qui t’a amené à monter cette structure ?

« C'est un poste construit dans un chemin d'être humain incertain. J'ai eu une pratique de musicien tout à fait amateur au début. Et puisque l’on a une sorte de « culte de la professionnalisation », je me suis assez rapidement professionnalisé. C'était un choix personnel, pas forcément un objectif de vie, mais ça s’est retrouvé devant moi.
Je jouais des percussions mandingues, notamment du balafon ou du djembé dans plusieurs groupes, principalement sur des rythmiques afro-cubaines. En parallèle, j’ai eu une expérience d’un an en tant que chargé de production dans une association. C’est là que j’ai découvert tout ce qui est administratif, la diffusion… Et tout cela m’a amené à créer Pypo Production début 2012. 
J'ai fait quelque chose qui a été une hérésie dans la ville de Nantes : un événement gratuit pour le public, sur l'espace public, sans argent public et sans bénévole. Je ne savais pas que ça ne se faisait absolument pas. Personne ne me l'a dit ! C'était les Dimanches des Antilles, en 2012. Ce qui a été quatre dimanches après-midi sur lesquels se sont exprimées les cultures du monde. Entre les grues grises et jaunes. Ça a été financé par les commerçants du Hangar à Banane. C’est de là que tout est parti ».

Aujourd’hui, comment définis-tu Pypo Production ?

« De façon extérieure, c’est avant tout une structure qui accompagne les artistes émergents, avec un vrai ancrage dans la scène et le spectacle vivant. On aide à la création et à la diffusion des spectacles pour ceux qui veulent monter sur scène, parce que faire de la musique et faire de la scène, ce n’est pas la même chose.
Notre cœur historique, c’est vraiment cette dimension scénique. Mais au fil du temps, on a investi d’autres espaces pour soutenir les projets artistiques de manière plus large. On fait de l’édition, et de la production phonographique… On propose un accompagnement à 360° parce que l’industrie musicale, avec ses codes est très formatée depuis les années 70, notamment autour de la musique enregistrée. On a à cœur de travailler avec une majorité d'artistes sur un périmètre régional, Nantes et son agglomération. Mais ce n’est pas tout. Ces artistes régionaux représentent environ 50 à 70% du roster ».

 

« Repenser le management, c’est essentiel, pas seulement pour le travail, mais pour nos relations en général »

Qu’est-ce qui t’a amené à faire cette formation en management d’équipe et/ou de projet ?

« Déjà, j’ai fait pas mal de formations avec ARTES : j’apprécie beaucoup. Ensuite, ce qui m’intéresse, ce sont les relations humaines et la façon dont on interagit. J’ai toujours été frappé de voir des gens avec de vraies aspirations, mais qui ne les incarnaient pas du tout, notamment dans la musique. Et c’est encore ce qui me travaille aujourd’hui. Au fond, ce qui m’interroge, c’est la souffrance humaine. Quand tu t’intéresses à ça, tu arrives forcément à la question du management, parce que le travail occupe une énorme place dans nos vies. Et ce qui semble prédominer, aujourd’hui, c’est le management au résultat. 
Alors, je ne dis pas que c’est mauvais en soi, mais s’il s’agit de la seule logique, il risque d’y avoir des dérives tant sur le travail que sur la vie perso, les relations… Tout devient une question de performance, de réussite, et ça, ça génère beaucoup de souffrance. Dans la musique, c’est flagrant. Beaucoup d’artistes sont autodidactes. À la base, leur pratique est intime, sociale, presque thérapeutique. Mais dès qu’ils doivent entrer dans une logique professionnelle, quand ils passent d’une démarche personnelle à une exigence de résultat, ils peuvent se retrouver en difficulté.
Le problème, c’est que l’on valorise le simple, le quantifiable, le binaire. Et au contraire, tout ce qui touche au sensible, à la complexité humaine, on préfère l’éviter. C’est pour ça que repenser le management, c’est essentiel, pas seulement pour le travail, mais pour nos relations en général. »

Maintenant que tu as dit ça, comment définirais-tu ta vision du rôle de manager ?

« Ma façon de voir les choses est évolutive. La vie m’a toujours amené à inverser des réalités, à expérimenter ce que c’est vraiment d’être chef d’entreprise et fondateur d’une organisation. Je ne savais pas que j’allais vivre ça, et j’ai toujours été dans une logique d’aller en contre-intuition. 
Ce n’est pas parce que je suis fondateur que je dois faire ressentir aux autres que je me suis sacrifié. Ce n’est pas aux autres de porter ça à ma place. L’idée du sacrifice du chef d’entreprise, c’est un premier truc à dézinguer si on veut retrouver une justesse relationnelle avec ses collaborateurs. Et ce n’est pas simple, parce que même les collaborateurs, parfois, t’invitent à entrer là-dedans.
Ce n’est pas aux autres de porter ces soi-disant sacrifices, mais c’est souvent ce qu’il se passe. Moi, je ne suis pas héritier, rien ne m’a été donné pour que ce soit facile. J’ai fait les choses parce que j’avais besoin de les faire. Et parfois, intérieurement, la dimension sacrificielle est bien là. À 25 ans, quand tu compares ta vie à celle des autres du même âge, ça peut faire drôle. Mais en même temps, j’ai bien vu que c’était mon système d’épanouissement. Je ne pouvais pas suivre un autre chemin, parce que sinon, j’aurais été malheureux. »

 

« Je suis convaincu que le monde a besoin de gens issus des pratiques artistiques, musicales ou autres, qui prennent des responsabilités managériales »

Quelles mesures tu as prises, pour effacer cette idée de sacrifice ?

« Il fallait la déconstruire. Sur le papier, je suis l’employeur, mais personne n’est mon subordonné. Je n’ai que des collaborateurs associés. Pypo a été une structure associative pendant 12 ans avant de devenir une coopérative l’année dernière. Aujourd’hui, on est quatre associés sur les fonctions support. Je ne dis pas qu’on a trouvé le modèle parfait, on est en pleine expérimentation. Mais on voit bien que ça répond à des aspirations que beaucoup de gens expriment.
Mon objectif, c’est d’avoir des relations réciproques avec mes collaborateurs. Ce n’est pas simple, parce que ça repose à la fois sur la solidarité, la liberté et la responsabilité de chacun. Mais cette solidarité est essentielle : comme on ne fonctionne pas sur un management au résultat, on ne tombe pas sur quelqu’un dès qu’il y a un problème. On cherche à comprendre comment s'ajuster ensemble. Ajuster notre manière de contribuer nous importe plus que rechercher la performance. Atteindre nos objectif ou satisfaire nos intérêts ne peut pas se faire "au détriment de..." ».

Tu parlais du côté autodidacte, dans le secteur culturel, il n’est peut-être pas encore très intuitif de se former au management. Et pourtant, il n’est pas rare de voir des artistes accéder à ces fonctions…

« Oui, tout à fait. Pourtant, je pense qu’il faut encourager les artistes à assumer leur rôle d’entrepreneurs. Pour moi, ça a été un vrai choix : j’ai décidé que mon métier ne serait plus la musique, du moins plus en l’interprétant. Aujourd’hui, je gagne ma vie en accompagnant les autres dans leur création. Je suis convaincu que le monde a besoin de gens issus des pratiques artistiques, musicales ou autres, qui prennent des responsabilités managériales. C’est une nécessité sociale, une vraie porte de sortie à l’échelle sociétale. Donc oui, idéalement, j’aimerais beaucoup. Et je vois qu'il y a une petite catégorie d'artistes qui ont cette appétence-là, et le potentiel pour le faire. »

Même si ça fait un petit moment que tu es venu te former, ce que tu as vu en 2018 t’accompagne-t-il encore ?

« Oui, et d’ailleurs, ce qui m’a particulièrement marqué en posture de management, c’est la recherche d’une communication assertive. Avant cette formation, je ne connaissais même pas ce mot. Il m’a permis de nommer quelque chose qui existait déjà en moi, mais sans cadre précis. Les mots peuvent avoir un pouvoir créateur, et celui-là a été une vraie révélation pour moi. La recherche d'assertivité m’a aidé à structurer ma sensibilité et mes aspirations. Ça m’a apporté une voie de clarté. »

D’une certaine manière ça t’a permis de professionnaliser ta pratique du management ?

« Oui, même si j’ai du mal avec ce mot, « professionnaliser », car il intègre de fait le management au résultat. Mais si je suis venu, c’est que j’avais la conviction que ça m’aiderait.
D’une façon très personnelle et sincère, j’aurais tendance à penser que ces formations pourraient être dangereuses :  elles peuvent donner des carottes pour, sous couvert de bienveillance, rester dans un rapport à la performance. Ça n’a pas été le cas pour moi puisque j'ai une sensibilité autre. Cette formation est encore très présente pour moi. Je l’ai trouvée d’une très grande qualité. »

 

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