Chargés de diffusion : gare au « puits sans fond »
Module emblématique du catalogue d’ARTES, le cycle « Réussir sa mission de chargé.e. de diffusion » a récemment fêté son quinzième anniversaire. Depuis 2009, Ingrid Monnier, intervenante référente à Nantes a formé plusieurs centaines de participants à ce poste si important dans le secteur culturel, qui vit pourtant une certaine forme de mépris. « C'est un métier qui est assez méconnu, parfois déconsidéré, réputé pour être difficile. En fait, c'est un puits sans fond », glisse notre formatrice, plus de trente années d’expérience dans les bottes, principalement dans les arts de la rue.
Les chargés de diffusion « sont souvent chargés tout court »
Parfois livré à eux-mêmes, les chargés de diffusion sont régulièrement assignés à d’autres tâches (production, administration, communication, logistique). « Ils sont souvent chargés tout court », illustre Ingrid. Pourtant, leur fonction première : faire tourner les spectacles, devrait constituer « le nerf de la guerre » du modèle économique des compagnies.
« La diffusion ne procure pas de de résultat immédiat, donc souvent, elle passe au second plan. On leur assigne des tâches qui paraissent plus urgentes, avec des deadlines précises contrairement à la diffusion qui est un travail de fond. Cela nécessite de définir des stratégies, de connaître le marché, de se déplacer… », énumère Ingrid. « Entretenir un fichier, créer son réseau, il y a aussi un gros travail de rédaction… Tout çà, ça prend un temps énorme », complète Valérie Martinez, également intervenante sur le module depuis 2019. Elle aussi est coutumière de l’expression « puits sans fond » pour qualifier son activité.
« L’important, c’est de sensibiliser », reprend Ingrid, qui plaide pour une meilleure information, à tous les niveaux, sur les missions d’un chargé de diffusion. « Très souvent, les compagnies pensent qu'il suffit d'un fichier de contacts, et d'envoyer des mails. Mais en réalité, en face de nous, on a des organisateurs surchargés de travail, dans un contexte où il est extrêmement compliqué pour trouver des financements. Il faut donc qu'on réfléchisse à notre cible. Pourquoi, et comment les toucher ? Et pour ça, il faut connaître les organisateurs, être à leur contact, se faire un réseau », appuie-t-elle.
Plus de spectacles, moins de dates
Et alors que les écoles et compagnies sont de plus en plus nombreuses, au contraire des lieux et des festivals, dont le nombre tant à baisser, trouver une date n’est pas chose aisée. Loin de là. « On a une offre de créations énorme par rapport au potentiel de diffusion. Il y a 30 ans, certaines compagnies de cirque pouvaient faire 180 dates par an. Aujourd’hui, en faire 40, c’est déjà exceptionnel », poursuit Valérie.
Dans ce contexte, le rôle du chargé de diffusion est d’autant plus essentiel. « C’est la personne qui connaît le mieux l'éventail de possibilités d’un projet artistique, indique Ingrid. Quand on défend un projet auprès d'un organisateur, il faut qu'on fasse en sorte qu’il puisse se projeter. Est-ce que cet objet artistique est adapté à son projet de programmation de spectacle ? », poursuit notre formatrice.
S’adapter aux capacités financières et techniques de chacun, identifier les atouts de son spectacle pour « séduire » l’organisateur (sans déformer le projet pour autant), lui permettre de se projeter… Tant d’enjeux invisibles qui s’ajoutent aux missions du chargé de diffusion. « On peut parfois travailler deux ans dans le vide. S’il n’y a pas de date, ça ne veut pas dire que le chargé de diffusion n’a pas travaillé, mais peut-être que le projet ne correspond pas », poursuit Valérie.
« On parle avec notre cœur »
Malgré les difficultés et des conditions de rémunération parfois difficiles, nos deux formatrices n’ont jamais abandonné le métier. « Chaque compagnie a forcément besoin d'un chargé de diffusion, mais ils sont de plus en plus rares car ce n’est pas considéré financièrement. C’est souvent déroutant et déprimant », indique Valérie. Pour elle, ce qui entretient la flamme depuis tant d’années, « c’est le fait de bosser sur des projets lesquels je crois, avec des personnes qui ont des valeurs qui me conviennent. Le côté humain est d’autant plus important. Il faut du sens, travailler sur des projets de qualité », explique l’ancienne directrice de la SMAC La Cigale, à Nyons, entre 2003 et 2007.
Convaincues de l’importance du métier, Ingrid et Valérie veulent que cette formation soit déculpabilisante. « Quand on est chargé de diffusion, on a l'impression qu'on n'a jamais terminé, qu'on peut toujours faire plus, toujours faire mieux, pointe Ingrid. C’est un métier qui est souvent très solitaire. Comme il n’existe pas véritablement de formation initiale, ils viennent pour questionner leur pratique auprès des autres chargés de diffusion. Ils comprennent qu’ils font globalement face aux mêmes difficultés, ça leur permet de se rassurer par rapport à leur manière d’agir », poursuit-elle.
« Ingrid et moi, nous sommes quand même très fascinés par le métier, reprend Valérie. En formation, on parle avec notre cœur. On encourage les participants, mais on les met aussi en garde. On leur transmet des points essentiels pour leur protection mentale et psychologique. Quelque part on met des pares-feux qu'on n'a pas pu se mettre à nous-mêmes ». L’une comme l’autre, Ingrid et Valérie assurent qu’au-delà de la formation, un travail essentiel est à mener vis-à-vis des programmateurs et des responsables des compagnies. « Concrètement, il faudrait qu’ils prennent conscience de ce qu’est réellement ce métier-là », conclut Valérie. Une reconsidération essentielle pour que les chargés de diffusion sortent, enfin, la tête du puits.