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« La comptabilité, ce n’est pas seulement des chiffres »
Formateur en comptabilité depuis 1980 et spécialiste du droit des associations, François Boitard, 75 ans, est l’un des membres historiques de l’équipe pédagogique d’ARTES. Il a notamment fait partie du Conseil national ayant accouché du plan comptable pour les associations, en 2000. Passionné d’histoire, il aime répéter que sa discipline n’est pas seulement une affaire de chiffres, mais une culture à part entière, qu’il ne se lasse pas de transmettre depuis 45 ans. Il nous a expliqué pourquoi au travers d’un entretien...
Pourrais-tu nous décrire ta méthode d’enseignement ?
« J’ai mis au point un dispositif d'apprentissage de la comptabilité rapide. C'est une méthode où je n’attaque pas par les chiffres, ni par le débit-crédit, mais par le résultat auquel on veut aboutir. Et d'abord, par la compréhension du vocabulaire comptable. En fait, j'ai toujours considéré que la comptabilité était une culture, une certaine façon de voir le monde et d’organiser les choses. Contrairement à ce que l’on croit, la comptabilité, ce n'est pas seulement des chiffres ! Avant toute chose, il faut apprendre à connaître cette culture, et savoir comment elle se transmet.
Évidemment, une fois que c’est fait, je propose des exercices. C'est au pied du mur qu'on voit vraiment le mur ! Généralement, en trois ou quatre jours, les participants sont capables de commencer à tenir une comptabilité sur un logiciel. C’est le premier étage de la fusée. Le deuxième, c’est l’analyse financière, c'est-à-dire l’analyse du bilan et du compte de résultat, à partir des fichiers des apprenants. Et puis ensuite, la prévision budgétaire, ou compta analytique : savoir quelles activités sont rentables ou non. Enfin, il y a éventuellement un numéro complémentaire sur la TVA, car dans les associations qui grandissent, on est y forcément un jour confronté. »
« Il faut effacer le disque dur, et réimprimer une autre façon de voir. C'est pour ça que c'est une culture. Il faut tout réapprendre. »
Comment tu décrirais ce que tu appelles « la culture de la compta » ?
« La comptabilité existe depuis toujours ! Je rappelle souvent que les premiers écrits, l’écriture sumérienne, ce sont des livres de comptes. C’était bien avant la littérature et les poèmes. Ensuite, la comptabilité telle qu’on l’a connaît, elle s'est construite entre le 12e et le 14e siècles, après les croisades qui ont initié les premiers échanges entre l'Orient et l'Occident. Il a fallu trouver des techniques, et c’est comme ça qu'on a créé la partie double, la compta normalisée. Tout cela découle de la culture de l’échange. C’est un système où tu tiens tes comptes, mais où l'autre aussi. C’est un peu « je te tiens, tu me tiens par la barbichette »…
La comptabilité, c’est une vision particulière : on fait la différence entre les biens durables - comme une télévision que l’on va garder pendant 10 ans - et consommables, comme un sac de pommes de terres. Cette notion n’est pas intuitive dans la vie quotidienne. Il faut intégrer tout ce vocabulaire. En formation, ce qui demande beaucoup de travail, c’est que les gens tiennent leurs comptes à partir du relevé bancaire : le débit, ça veut dire ce qu'on t'enlève, et crédit, ça veut dire ce qu'on te donne. Or, quand on tient sa comptabilité, c’est l’inverse ! Quand je le dis, certains ne comprennent plus rien. Donc il faut effacer le disque dur, et réimprimer une autre façon de voir. C'est pour ça que c'est une culture. Il faut tout réapprendre. »
Tu veux dire qu’il faut accepter de repartir d’une page blanche avec la compta ?
« Exactement. C’est comme quand on veut apprendre une langue étrangère. L’entendre, c’est une chose, mais tant que tu n’es pas dans une démarche pour la comprendre, tu n’y arrives pas. Le vrai blocage, il est sur le vocabulaire compris à l'envers, dans le sens du dictionnaire. Il faut accepter que les mots n’aient plus le même sens. Après, ce ne sont que des additions et des soustractions ! Il faut seulement comprendre les spécificités : comment on positionne et pourquoi. Mais sinon, c’est d’une simplicité arithmétique déconcertante. La comptabilité pourrait s’apprendre en CM1 ! Il suffirait d’expliquer le mécanisme très tôt aux enfants, et ça ne poserait plus de problème… »
« On demande des capacités de gestion à de plus en plus d’employés, souvent alors qu’ils n’ont jamais été formé »
Est-ce que tu dirais qu’il y a une appréhension de la compta dans le secteur culturel ?
« Oui, tout à fait. Et pour moi, cela vient du fait qu’en France, on ne sache pas enseigner les mathématiques. Du moins, ce n’est pas fait pour que les gens comprennent, mais pour sélectionner ceux qui dirigeront le pays. Avant, la sélection se faisait par la langue, le latin, aujourd’hui, c’est par les maths. Beaucoup de métiers s’ouvrent à toi quand tu les maîtrises. Et au contraire, il y a des gens qui ont été traumatisés par l'enseignement des mathématiques. Quand tu leur parles de comptabilité, ils fuient au galop parce que ça leur rappelle des traumatismes de l'école. Le problème est là. C’est vu comme contrainte, les participants ne viennent pas en en formation par amour de la comptabilité, c’est sûr. Il m’arrive d’avoir des gens qui viennent vraiment à reculons. Et puis au fil des jours, l’état d’esprit est différent. Souvent, ils me disent « si on m’avait appris la compta de cette façon dès le début… ».
En 45 années de formation dans les secteurs associatifs et culturels, quels besoins récurrents as-tu identifié ?
« Je suis souvent face à des participants qui exercent des métiers de production ou de diffusion et à qui, progressivement, on demande d'être administrateurs, de tenir les comptes pour des raisons de rentabilité. Souvent, dans les petites et moyennes structures, l’administrateur doit se mettre à la compta, ou au moins être en contact avec le comptable ou l’expert-comptable. Et le problème, c’est que parfois, ils ne parlent pas le même langage…
Aujourd’hui, on demande des capacités de gestion à de plus en plus d’employés, et souvent, des gens prennent des responsabilités alors qu’ils n’ont jamais été formé. C’est encore plus vrai dans le contexte actuel, et peut-être que ce sera accentué en Pays de la Loire avec les dernières mesures du Conseil régional. Alors, certes, la compta ne peut pas tout régler, mais ce qui est certain, c’est que si on ne s’en occupe pas, c’est elle qui va s’occuper de nous ! »
D’où l’importance de la maîtriser…
« Je dis souvent à mes apprenants que si je continue à former à la compta pour les associations à mon âge, c'est que je le considère un peu comme une mission. Si je le faisais uniquement pour l’argent, j’aurais passé le diplôme d’expert-comptable ! »
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