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Communication orale : l’importance de travailler ses prises de parole
Membre de l’équipe pédagogique depuis les débuts d’ARTES, en 2005, Cécile Crécent a commencé à former aux techniques de communication écrite et orale au milieu des années 1990. Trente années d’exercice, plusieurs centaines de professionnels accompagnés, et une conviction : dans tous les secteurs d’activité, les prises de parole en public ne sont pas assez préparées ! Elle fait le point avec nous.

Tu as commencé à former entre 1995 et 2001. À l’époque, tu avais déjà identifié des carences dans la préparation des prises de paroles, notamment dans le secteur culturel ?
« Oui, ça a toujours été le cas. Dans tous les secteurs d’activité, les besoins étaient évidents, mais c’est vrai que dans la culture, il y a beaucoup de prises de parole à l'oral : conférences de presse, présentations de projets (y compris pour obtenir des financements), de festivals, lancements de saisons, réunions... Il y a de l'oral tout le temps et tout le monde est concerné : médiateurs culturels, chargés des relations avec les publics, chargés de communication, directeurs de structure, programmateurs… Dans tous les métiers, on est obligé de prendre la parole. Et le souci, en France, c’est que l'école ne nous forme pas à ça. On passe beaucoup de temps sur l’écriture, les dissertations… Mais la préparation d’un oral, pratiquement jamais. »
Comment travaille-t-on l'oral, justement ?
« Ça se travaille autant qu’un écrit. Pour beaucoup, il y a des gens qui sont bons naturellement, d’autres qui sont mauvais, et c’est tout. Pourtant, tout le monde est en capacité de produire un oral satisfaisant, à condition de le travailler en amont.
Dans certains pays, comme les États-Unis, les enfants sont habitués tout petits à prendre la parole devant les autres. On leur demande de raconter des choses presque tous les jours. À l'école française, ce n'est pas le cas. On s'exprime très peu, on se sent constamment jugé et ça donne des classes où l'on craint souvent de lever le doigt. On a tous ces souvenirs de l’école où ce sont toujours les mêmes qui participent ; ceux qui n'ont pas peur de se tromper… »
« On retrouve des adultes angoissés à l’idée de prendre la parole ou, au contraire, des extravertis qui n’ont pas peur, mais qui n'ont pas toujours préparé leur intervention. »
Selon toi, ça nous suit tout au long de notre vie ?
« Complètement. On se retrouve avec des jeunes paniqués quand ils doivent passer un examen oral. C’est très fréquent. Quand mon fils a passé son épreuve d’histoire des arts, au collège, il est revenu avec une feuille de papier sur laquelle était écrit ce qu’il devait faire le jour de l’oral. Pas d’entraînement, aucune technique de construction... Rien.
Plus tard, on retrouve des adultes angoissés à l’idée de prendre la parole ou, au contraire, des extravertis qui n’ont pas peur, mais qui n'ont pas toujours préparé leur intervention. Et là, le résultat peut être brouillon ou assommant. Il suffit de demander aux journalistes combien de conférences de presse ou de lancements de saison ils ont trouvé pénibles… Derrière ça, il y a un manque criant de préparation. Mon objectif, c'est de donner des clés pour travailler concrètement. »
Comment ?
« La première chose fondamentale, et j'insiste là-dessus, c’est la préparation du propos. On ne se lance pas comme ça derrière un micro ; ce n'est pas un exercice d'improvisation. Dans 90% des cas, une prise de parole peut être travaillée en amont. L’impro, c’est après, dans le cadre d’une interview par exemple, quand on ne sait pas véritablement où le journaliste va nous amener. Mais même dans ce cas spécifique, on peut s'entraîner. Et en général, les gens que j’ai en formation sont rarement confrontés à ces problématiques.
Paradoxalement, un oral, ça se prépare à l'écrit. Sans dévoiler le contenu de la formation, l’idée, c'est de poser son cerveau sur le papier avec des objectifs particuliers. Mais ça ne restera pas à l’écrit. Il va falloir oraliser ce discours, trouver le vocabulaire adéquat. Et celui-ci peut se révéler très différent de celui d'un compte-rendu ou d'un dossier écrit. Il y a tout un enjeu autour de la vulgarisation. J’ai des exercices spécifiques là-dessus, que je ne vais pas dévoiler car c’est une surprise (rires).
On va tester des choses devant les autres pour se rendre compte de l'effet produit. C'est vraiment une mise en pratique. Et là, on se rend compte qu'à l'oral, on ne peut pas revenir en arrière, contrairement à l’écrit. C'est un fil continu. On est suspendu aux lèvres de la personne en face. Ça veut dire que l’orateur doit être en capacité de maintenir l'attention.
D’où cet indispensable besoin de structuration et de clarté. Il y a des fausses idées qui circulent, comme par exemple le fait qu’un bon orateur ne s’aide jamais de notes. C’est totalement faux ! Il n’y a qu’à regarder les politiques ou les présentateurs TV, ils ont tous des feuilles devant eux ! »
Quels sont les profils qui viennent sur ce module ?
« Il y a des demandes différentes… Mais en général, les participants ont identifié un besoin. Pour certains, le festival va bientôt commencer, il va falloir le présenter, et ils se rappellent avoir été dans des situations difficiles par le passé. D'autres se disent qu'il va falloir arrêter les stratégies d'évitement ; celles où l'on compte sur les collègues pour parler à notre place... Ça, ça ne dure qu'un temps. Et en trois jours, on assiste parfois à des progrès spectaculaires. Je ne peux pas le promettre à tout le monde, mais il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut travailler pour s’améliorer. »
« Tout le monde peut arriver à faire quelque chose de satisfaisant. Et je dis bien tout le monde ! »
Un de tes premiers objectifs, c'est de les remettre en confiance et de dédramatiser la situation...
« Oui, c’est un des axes de ma formation : leur expliquer qu’avec le travail, tout le monde peut arriver à faire quelque chose de satisfaisant. Et je dis bien tout le monde !
Il faut bien comprendre que, dans le cadre professionnel, quand on prend la parole, les gens auxquels on s'adresse n'ont pas payé pour venir voir un spectacle. C'est très différent et beaucoup de gens mélangent tout ça. On n’est pas là pour faire un show, pour "monter sur scène". L’objectif, c’est juste de faire correctement son boulot. Parfois, j’ai affaire à des comptables qui veulent juste présenter les comptes lors de l’assemblée générale. Il faut seulement que ce soit clair, concis et que tout le monde comprenne. En début de formation, on va cibler les besoins spécifiques de chacun par rapport à sa situation, identifier ses points forts, ses axes de progression… Et on va travailler sur ces éléments en particulier. Il n'y a pas qu'une seule façon d'être bon à l'oral. Je fais de l'ajustement sur mesure à chaque session. »
Quand tu dis qu'il n'y a pas qu'une façon d'être "bon à l'oral", chaque personne peut être bonne à sa manière, c'est ça ?
« Exactement. D'ailleurs, on l'observe dans la vie réelle, ne serait-ce que si on se remémore nos professeurs pendant nos études. Il y avait ceux qui étaient très sympas, avec qui on aurait eu envie d'aller boire un coup ; mais avec eux, parfois, on n'avait rien appris. D'autres qui étaient très sévères, insupportables ; on a tous été pétrifiés devant un prof. Et puis ceux qui étaient également rigides, mais quand on sortait, on était presque exaltés tellement le cours était passionnant… Il y avait différents modèles de profs, des bons, et des moins bons. Mais les bons n'avaient pas tous nécessairement le même profil. Pour les présentations orales, c’est la même chose. Il faut faire avec sa personnalité. Si on pense qu'il n’y a qu’une façon d'être "bon à l'oral", le danger, c'est que tout le monde s’exprime de la même manière. Un peu comme les influenceurs sur TikTok, ou certains politiques qui ont parfois des discours très formatés. À bas l'uniformité, vive la diversité ! »